Extraits de
« La vérité sur la bataille des plaines d'Abraham »,
D.Peter MacLeod, 2008, traduction française de Marie José Thériault
Titre original : « Northern Armageddon : The Battle of The Plains of Abraham »
Les citations de D. Peter MacLeod pour ces extraits : « The Scot in New France : An Ethnological Study », Montréal : Dawson Brothers, 1881, pp. 28-29
- Extrait de la page 223, Les préparatifs de bataille
... l'armée », écrit Marcel, le second aide de camp de Montcalm, « paraissoit attendre avec impatience le signal pour charger l'ennemi et le demandoit avec chaleur14. »
Joseph Trahan, un réfugié acadien de dix-huit ans, observe et se souvient. « Je revois bien Montcalm avant la bataille. Il montait un cheval noir ou à la robe sombre devant nos lignes, il brandissait son épée haut dans les airs, voulant encourager ses hommes à faire leur devoir. Il portait un uniforme dont les manches étaient amples, et celle qui recouvrait le bras qu'il levait dans les airs était retombée, dévoilant le lin blanc de son poignet15. »
- Extrait de la page 266, Joseph Trahan, un adolescent à la guerre
Joseph Trahan, l'adolescent acadien qui avait regardé Montcalm chevaucher devant les lignes de bataille françaises, se souvient de la charge des Highlanders comme d'un moment de chaos immédiat et cauchemardesque. Dans un inextricable fouillis, les réguliers français et les milices du Canada fuyaient en pagaille; les Canadiens et les Autochtones tiraient sur leurs poursuivants; les Fraser frappaient autour d'eux à grands coups de claymore; et les fuyards français mettaient en pièces les Écossais blessés ou mutilaient leurs cadavres.
« Je me souviens des Highlanders écossais qui volaient à notre poursuite sur le front de la butte comme autant de démons furieux, avec leurs plaids qui flottaient derrière eux, leurs bonnets et leur grande épée. Sur leur parcours il y avait un bois où nous avions des Indiens et des francs tireurs qui terrassèrent ces Sauvages d'Écosse de la plus belle façon. Les hommes à demi nus tombèrent à plat ventre, et leur kilt en désordre dévoila en partie leurs cuisses, si bien que les nôtres, en passant, foncèrent dessus avec leurs épées et firent de grandes tranches des parties les plus charnues de leur personne. »
Devant une telle horreur, Trahan vira les talons et déguerpit. Il courut jusqu'à ce qu'une balle de mousquet le frappe au mollet et que, affalé par terre, il crut être sur le point de rendre l'âme14.
- Extrait de la page 287, Joseph Trahan, un adolescent en cavale
Joseph Trahan, qui avait survécu à la déportation des Acadiens, survécut aussi à la bataille des plaines d'Abraham. Frappé d'une balle à la jambe, il craignit de mourir aux mains des Fraser. Mais il fut laissé pour compte au milieu des morts et des blessés. Après être resté des heures durant où il était tombé, sans doute inconscient, peut-être paralysé par la peur, il parvint à se lever et à marcher jusqu'à Beauport où il serait en sécurité.
En traversant un terrain où, curieusement, il n'y avait aucun Français et aucun Britannique, Trahan descendit le coteau Sainte-Geneviève jusqu'à la vallée de la Saint-Charles. Il s'arrêta à la boulangerie de Cadet où il eut sous les yeux la dernière horreur d'une journée qui en avait été prodigue.
Le boulanger Pierre-Gervais Voyer avait construit cette boulangerie pour y cuire le pain destiné aux troupes de Montcalm et aux réfugiés de Québec. Baissant les yeux, Trahan aperçut le corps de Voyer qui gisait par terre à côté de ses fours. Mais seulement son corps. Quelqu'un, vraisemblablement un Highlander armé d'une claymore, avait décapité le boulanger. Avec l'humour macabre des gens de guerre, il avait ensuite soigneusement placé la tête de Voyer sur le dessus d'une pile de miches de pain.
Devant le pain frais et la tête tranchée, Trahan se sentit déchiré entre l'horreur et la faim. « La faim ayant raison de moi, je m'emparai d'une miche toute couverte de sang et, en ayant retiré la croûte avec mon canif, j'en dévorai la mie avec appétit. C'était en après-midi et le soleil se couchait à l'ouest17 ».